C’est au mandant d’apporter la preuve de la faute grave privative d’indemnité
La faute grave est l’unique fondement juridique permettant au mandant de refuser à un agent commercial l’indemnité de fin de contrat, conformément à l’article L134-13-1 du Code de commerce. Encore faut-il que cette faute soit prouvée, déterminante dans la rupture du contrat, et opposée dans les formes prévues par la jurisprudence constante.
L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 décembre 2024 (n° 23-16962) rappelle que le fardeau de la preuve pèse exclusivement sur le mandant. Ce dernier ne peut invoquer une faute grave qu’à la condition de :
- La démontrer avec précision ;
- Établir qu’elle est à l’origine directe de la rupture du contrat ;
- Et l’avoir soulevée de façon opportune et loyale.
1. La preuve incombe au mandant
La jurisprudence est constante : c’est au mandant, et à lui seul, de démontrer la réalité des faits constitutifs d’une faute grave privative d’indemnité.
Des arrêts anciens et récents le rappellent fermement :
- Cass. com., 15 octobre 2009, n° 03-11530 ;
- Cass. com., 22 février 2005, n° 03-12045 ;
- Cass. com., 14 novembre 1999, n° 88-12463.
En d’autres termes, la simple allégation d’un comportement fautif par l’agent commercial est insuffisante : la charge de la preuve repose entièrement sur le mandant, qui doit apporter des éléments factuels objectifs, datés, précis et concordants.
2. La faute grave doit être la cause de la rupture
Une faute grave ne peut être privative d’indemnité que si elle a directement provoqué la rupture du contrat. Cette exigence implique deux conséquences majeures :
a) Tolérance antérieure = renonciation
Un mandant ne peut se prévaloir d’une situation qu’il a connue et tolérée sans réagir. S’il a eu connaissance du comportement reproché sans mise en demeure préalable, il est forclos à l’invoquer ultérieurement à l’appui d’une rupture.
C’est ce qu’a rappelé la jurisprudence dans plusieurs arrêts :
- Cass. com., 4 décembre 2024, n° 23-16962 ;
- Cass. com., 26 septembre 2018, n° 17-17743 ;
- Cass. com., 12 février 2013, n° 12-12371.
Le principe de loyauté contractuelle impose au mandant de réagir immédiatement s’il estime qu’un comportement de l’agent est fautif.
b) Faute découverte après la rupture : non opposable
Une faute antérieure à la rupture, mais connue après celle-ci, ne peut être invoquée pour refuser l’indemnité si elle ne figure pas dans la lettre de résiliation.
Cette règle a été posée par :
- Cass. com., 13 avril 2023, n° 21-23076 ;
- Cass. com., 16 novembre 2022, n° 21-17423.
Conclusion : le lien de causalité entre la faute et la rupture doit être direct, immédiat et explicite.
3. L’arrêt du 4 décembre 2024 : cassation pour défaut de base légale
Dans son arrêt du 4 décembre 2024, la Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel de Bordeaux (12 juin 2023) pour défaut de base légale, au motif que celle-ci n’avait pas vérifié :
- Que les faits reprochés à l’agent commercial avaient bien été précisément démontrés,
- Que ces faits avaient été la cause réelle de la rupture,
- Et qu’ils avaient été explicitement visés dans la lettre de résiliation.
Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle les juridictions doivent analyser la faute grave invoquée à l’encontre d’un agent commercial, tant sur le fond (preuve et gravité) que sur la forme (moment de l’invocation, contenu de la lettre de rupture).
Ce qu’il faut retenir
- La charge de la preuve pèse exclusivement sur le mandant.
- La faute doit être grief sérieux et objectivement démontré, non toléré ou connu de longue date sans réaction.
- La faute doit être directement à l’origine de la rupture, et mentionnée dans la lettre de résiliation.
- Une faute découverte après la rupture ou invoquée tardivement ne peut priver l’agent de son indemnité.
- Les juridictions exigent un lien de causalité immédiat, clair et prouvé entre la faute et la rupture.
Conclusion : sécurité juridique et loyauté dans les relations contractuelles
La reconnaissance d’une faute grave privative d’indemnité constitue une exception au droit à indemnisation de l’agent commercial. Elle ne peut être invoquée à la légère, ni de façon rétroactive ou implicite.
L’arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2024 illustre l’importance d’un respect scrupuleux des exigences de preuve, de temporalité et de motivation, au risque pour le mandant de voir sa décision annulée.
Source : Cass. Com., 4 décembre 2024, n° 23-16962
Publié par Paul JOLY, avocat au Barreau de Grasse