Le locataire bénéficie d’un droit de préférence qui oblige le bailleur, lorsque celui-ci délivre congé pour vendre son logement, à lui faire une offre de vente à un prix et à des conditions précisées dans le congé.
Le congé pour vente est un sujet sensible sur lequel les agents immobiliers sont régulièrement sollicités (1).
(I). En cas de difficultés, bailleurs et agents immobiliers conserveront la faculté de faire une vente occupée ou de négocier une libération anticipée (II). Bien que les honoraires ne soient jamais dus dans le cadre d’une préemption-locataire, une solution demeure néanmoins pour obtenir une petite contribution (III).
I/ Le formalisme impératif du congé pour vente
La procédure applicable pour donner congé est précisée à l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989. Ce même article instaure un droit de préemption au profit du locataire d’un logement non meublé constituant sa résidence principale dans le but de lui assurer une stabilité suffisante et de protéger son domicile familial d’un départ involontaire (2).
Cette protection se matérialise par l’obligation de lui notifier un congé pour vente tout en respectant le formalisme impératif (3) détaillé par les alinéas I et II de cet article.
A cet effet, l’alinéa I de cet article indique que le bailleur doit (sous peine de nullité) justifier son congé par sa décision de vendre en indiquant le motif allégué et précise que le délai de préavis applicable est de 6 mois avant l’échéance du bail. Ce même alinéa ajoute que la notice d’information résultant de l’arrêté du 13 décembre 2017est jointe au congé délivré (même si son manquement ne l’entache pas de nullité (4).
Il résulte de l’alinéa II que le congé devra (sous peine de nullité) indiquer :
- le motif allégué ;
- le prix ;
- les conditions de la vente projetée ;
- la description exacte/précise du logement ;
- Le cas échéant, ses éventuelles annexes (5).
Le congé devra par ailleurs reproduire les cinq alinéas de l’article 15 II de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989.
La jurisprudence fait également cas des coordonnées du vendeur (6) comme éléments d’information permettant d’exercer utilement le droit de préemption, notamment dans l’hypothèse où le congé est notifié par un conseiller.
Cela étant dit, il semble opportun de rappeler quelques règles qui ne souffrent d’aucune exception :
- La rédaction d’un congé pour vente ne s’improvise pas. Seuls les professionnels du droit, les notaires, les huissiers, les services de protection juridique et les conseillers avertis sont en mesure de fournir un modèle valable dans les formes de droit applicables. Il importe de faire le point avec le client sur la procédure initiée et d’y revenir en cas de doute.
- Le délai de préavis est de 6 mois avant l’échéance du bail. Toutefois, le congé doit être notifié et réceptionné avant l’ouverture de ce délai (voir détails en bas de page (7).
- Le congé doit être notifié et réceptionné par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) ou signifié par voie d’huissier. En revanche, la remise en main propre reste déconseillée même si elle est désormais prévue par la loi (8).
- Ni l’avis de passage, ni le pli avisé mais non réclamé ne valent notification (9). Hors présence du locataire, ou en cas d’absence de volonté probante de le retirer, seul le passage d’un huissier vaudra notification et réception (10).
- Le congé doit être notifié et réceptionné par tous les signataires du bail. Il faut donc vérifier que l’ensemble des signatures figure en accusé de réception de la notification qui a été personnellement adressée à chacun d’eux (1 congé pour 1 locataire) (11).
- L’offre de vente est valable pendant les 2 premiers mois du préavis, et non pendant les 2 premiers mois suivant l’envoi du congé (12) (il est inutile ici de chercher à gagner du temps).
Ces précisions peuvent sembler anecdotiques, mais elles ont un impact majeur sur la validité du congé.
Cette protection se matérialise également par l’obligation faite au bailleur ou au notaire de notifier les nouvelles conditions de vente en cas de modifications avantageuses (13). Cette notification est effectuée à l’adresse indiquée à cet effet par le locataire au bailleur, et si le locataire n’a pas fait connaître cette adresse au bailleur, la notification est effectuée à l’adresse de la location qui avait été consentie.
Cette obligation vaut même si le bail a pris fin et que le locataire a quitté les lieux à la suite du congé (14), et même s’il est établi que le locataire n’a pas les moyens d’acheter (15).
Le locataire qui n’aura pas accepté les termes de l’offre notifiée (16) et/ou qui n’aura pas réalisé l’acquisition dans les délais cités sera déchu de son droit d’occupation à l’échéance du bail (17).
Faute de respecter l’ensemble de ces règles impératives, le congé et l’acte de vente seront entachés de nullité et votre responsabilité pourra être recherchée (18).
II/ La vente occupée ou la libération anticipée
En cas de difficultés, bailleurs et agents immobiliers pourront convenir de passer une vente occupée.
A ce sujet, l’article 15 alinéa I de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 indique que, lorsque « le terme du contrat en cours intervient moins de deux ans après l’acquisition, le congé pour reprise donné par [le nouvel acquéreur] au terme du contrat de location en cours ne prend effet qu’à l’expiration d’une durée de deux ans à compter de la date d’acquisition. » (19)
Par exemple, si un logement est acquis le 15 juin 2016 et que le terme du bail intervient le 20 juillet 2017, le nouvel acquéreur devra nécessairement donner congé 6 mois avant le terme du bail, soit le 20 janvier 2017. Ce congé, tout en devant respecter le préavis de six mois, ne prendra effet qu’au 15 juin 2018 afin que la durée d’occupation de 2 ans soit respectée (20).
Il sera donc nécessaire de concentrer la mise en publicité autour de l’investissement locatif.
Une solution de dernier recours consiste à conclure une transaction de résiliation anticipée du bail (21) moyennant une contrepartie librement définie avec le locataire (la liberté contractuelle demeurant).
III/ Le droit à rémunération des agents immobiliers
Le locataire ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien qu’il loue dans la mesure où il n’a pas à être présenté par un agent immobilier dont l’intervention ne se justifie pas et n’est pas déterminante.
Il résulte ainsi de la jurisprudence de la Cour de cassation (22) que « le locataire titulaire d’un droit de préemption acceptant l’offre de vente du bien qu’il habite et qui n’a pas à [lui] être présenté par l’agent immobilier, mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien ».
Ce principe est constant. Il vaut même si la vente est intervenue au profit du locataire après refus de l’offre initiale mais acceptation de la seconde offre à un prix plus avantageux (23).
Pour cette raison, le congé pour vente ne doit pas notifier un prix incluant la commission de l’agent immobilier (même s’il s’agit d’une charge vendeur (24). Cette pratique, même dénuée d’intention de nuire, est constitutive d’une faute et susceptible de donner lieu à contestation judiciaire portant sur la demande en nullité du congé.
S’il est impossible d’être rémunéré par le locataire, une « astuce » est cependant possible.
Elle consiste à convenir d’un bon à commission avec le vendeur, tout en prenant soin de ne jamais apparaître au congé qui aura été notifié (le prix demeurant exclusivement celui d’un net vendeur), ni à l’acte de vente suivant la préemption-locataire. Ce bon à commission ne devant pas non plus conduire à renchérir le prix net vendeur (25).
En revanche, il est important de retenir que le droit à rémunération de l’agent immobilier sera dû si le logement est vendu occupé (même si le locataire achète, puisqu’il ne dispose d’aucun droit de préemption), ou si un congé pour vente est notifié dans le cadre d’une location meublée (congé sans offre, le locataire ne disposant d’aucun droit de préemption).
Et aussi ?
Le législateur instaure un droit de préemption au locataire (offre de vente au prix net vendeur sans congé) dans 2 autres situations :
- la vente dans sa totalité et en une seule fois d’un immeuble à usage d’habitation, ou à usage de plus de 5 logements au profit d’un acquéreur ne s’engageant pas à proroger les contrats de bail à usage d’habitation en cours à la date de la vente afin de permettre à chaque locataire d’en disposer pour une durée de 6 ans à compter de la signature de l’acte authentique (26) ;
- la vente d’un ou plusieurs locaux à usage d’habitation ou à usage mixte, consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d’un immeuble par lots (27).
Références
(1) L’arrêté du 13 décembre 2017 indique que, lorsqu’il est délivré par l’intermédiaire d’un mandataire (par exemple une agence immobilière, un administrateur de biens ou un notaire) et non directement par le bailleur, le congé doit mentionner le nom ou la dénomination sociale du bailleur. Mais attention, le locataire ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien.
(2) Article 1er de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 : « Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent […] ».
Nous ne pouvons que constater l’impact de ce formalisme sur la liberté du vendeur (l’un des axes principaux de cet article étant d’assurer une stabilité suffisante au locataire et de protéger son domicile familial).
(3) Le fait de ne pas respecter le droit de préemption du locataire entache la vente de nullité et engage la responsabilité du vendeur et des professionnels intervenus.
(4) Cour d’Appel de Bordeaux, 22 mars 2021, n° 20/02955 : l’arrêté du 13 décembre 2017 ne prévoit pas de sanction lorsque la notice n’est pas annexée au congé. Il n’est pas démontré en quoi M. B X aurait subi un grief du fait de l’absence de cette notice d’autant que l’ensemble des autres mentions obligatoires prévues par la loi du 6 juillet 1989 dans sa version applicable au litige y figure.
(5) Cour de Cassation, chambre civile 3ème, 12 mars 2020, n° 18-14.765 : aucune omission des accessoires du logement loué ne doit intervenir lors d’un congé avec offre de vente au profit du locataire. L’absence de mentions relatives à l’emplacement de parking ainsi qu’à la cave est de nature à entraîner l’annulation du congé pour vente.
Cour de Cassation, chambre civile 3ème, 21 juin 2000, n° 98-14.045 : le congé n’est pas valable car l’offre de vente ne mentionnait pas les accessoires loués avec le logement principal. Ces précisions peuvent sembler anecdotiques, mais elles ont pourtant un impact majeur sur la validité de l’offre de vente.
(6) Cour de cassation, chambre civile 3ème, 23 mai 2012, n°10-20.170.
(7) Article 1-4 de l’arrêté du 13 décembre 2017 : « Pour que le congé soit régulier, un délai de six mois au moins doit s’être écoulé entre la date de notification du congé au locataire et le terme du contrat de location. A défaut, le contrat de location sera reconduit tacitement.
Le point de départ du délai de préavis est la notification du congé :
-lorsque le congé est délivré par acte d’huissier, le délai court à compter du jour de la signification de l’acte d’huissier au locataire ; -lorsque le congé est délivré par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, le délai court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée par le locataire, c’est-à-dire à partir de la remise effective de la lettre à son destinataire ; -lorsque le congé est remis en main propre, le délai court à compter de la date de cette remise contre récépissé ou émargement ».
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(8) La loi ALUR du 24 mars 2014 et la loi Macron du 6 aout 2015 ont modifié et complété l’article 15 alinéa II de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 en permettant la remise en mains propres contre récépissé ou émargement du congé. Cette pratique demeure cependant fortement déconseillée pour éviter tout éventuel contentieux.
(9) Cour de Cassation, chambre civile 3ème, 21 septembre 2022 n° 21-17.691 : le congé d’un bail d’habitation délivré par LRAR et revenu à son expéditeur avec la mention « pli avisé et non réclamé » n’est pas régulièrement notifié.
(10) Il est recommandé de recourir à un commissaire de justice (huissier) pour faire délivrer un congé afin d’apporter une date certaine à la délivrance de l’acte. Cette date certaine vaut même si le destinataire ne le réceptionne pas.
(11) Pour que la notification soit valable, il faut que la lettre soit remise à son destinataire ou à un représentant muni d’un pouvoir à cet effet. A défaut, la notification ne sera pas régulière.
(12) Cour de Cassation, chambre civile 3ème, 19 mai 2010, n° 09-13.474.
(13) Article 15 alinéa II de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 « Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, […] notifier au locataire ces conditions et prix à peine de nullité de la vente. Cette notification est effectuée à l’adresse indiquée à cet effet par le locataire au bailleur ; si le locataire n’a pas fait connaître cette adresse au bailleur, la notification est effectuée à l’adresse des locaux dont la location avait été consentie. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Cette offre est valable pendant une durée d’1 mois à compter de sa réception. L’offre qui n’a pas été acceptée dans le délai d’un mois est caduque ».
(14) Cour de Cassation, chambre civile 3ème, 1er mars 2023, n° 21-22.073 : « Le locataire qui exerce son droit de préemption subsidiaire en acceptant l’offre notifiée par le notaire en application de l’article 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, qui n’avait pas à être présentée par l’agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien. »
(15) Cour de cassation, chambre civile 3ème, 14 novembre 2012 n°11-22433 : « [..] La seule méconnaissance du droit de préemption que le locataire tient de la loi elle-même suffit à rendre recevable son action destinée à faire respecter ce droit ».
(16) La contre-proposition à un prix inférieur à celui demandé par le bailleur s’analysera en un refus de l’offre et n’engagera pas le vendeur.
(17) Cour de cassation, chambre civile 3ème, 27 septembre 2011, n° 10-10200.
(18) L’agent qui prête son concours à la rédaction d’un acte doit s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique dudit acte, même à l’égard de la partie qui ne l’a pas mandaté.
(19) Article 15 alinéa I de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989
(20) Point 2-1-4-Cas particulier de l’arrêté du 13 décembre 2017
(21) Article 2044 du Code civil.
(22) Cour de cassation, chambre civile 3ème, 3 juillet 2013, n° 12-19.442.
(23) Cour de Cassation, chambre civile, 3ème, 1er mars 2023, n° 21-22.073 : « Le locataire qui exerce son droit de préemption subsidiaire en acceptant l’offre notifiée par le notaire en application de l’article 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, qui n’avait pas à être présentée par l’agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien ».
(24) Il est important ici d’éviter le risque en assignation portant sur la nullité du congé (requête à laquelle un juge pourra seul se prononcer et qui, dans l’attente de sa décision, entravera le processus de mise en vente).
(25) Voir sur ce sujet l’article « Droit de préemption et honoraires d’agence » de Maître Dubuis – Talayrach.
Source : Journal de l’agence du 13 juillet 2023 par Fanny QUILAN, responsable juridique chez AXO – L’immobilier Actif