Peut-on vendre un bien immobilier personnel via sa propre agence ?
Un agent immobilier propriétaire d’un bien peut légitimement vouloir le vendre en s’appuyant sur les moyens de son agence. Il peut être tenté de publier une annonce sur le site de son agence, d’utiliser les outils marketing à sa disposition ou même de percevoir une commission. Mais quelles sont les limites juridiques à ne pas franchir ?
La vente d’un bien personnel par un professionnel de l’immobilier n’est pas interdite, mais elle doit impérativement s’inscrire dans un cadre juridique rigoureux. Toute dérive ou dissimulation peut être qualifiée de fraude. L’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 12 mars 2024 (n° 21-01682) apporte un éclairage précieux sur les pratiques licites et celles qui ne le sont pas.
1. Vente d’un bien personnel : un cadre juridique spécifique
La loi Hoguet et la notion de bien d’autrui
La loi Hoguet du 2 janvier 1970, qui encadre l’activité des agents immobiliers, ne s’applique qu’aux opérations portant sur des biens appartenant à autrui. Pour percevoir des honoraires, l’agent doit agir en qualité d’intermédiaire entre un vendeur et un acquéreur.
Ainsi, lorsqu’un agent immobilier vend son propre bien, il ne peut pas être considéré comme un intermédiaire et ne peut prétendre à une commission d’agence.
L’affaire jugée à Chambéry illustre ce principe. Une société immobilière, propriétaire d’un bien, avait tenté de percevoir des honoraires à l’issue de la vente. La Cour d’appel a fermement rejeté cette demande, rappelant qu’on ne peut être rémunéré à titre d’intermédiaire pour la vente d’un bien dont on est soi-même propriétaire.
2. L’utilisation des moyens de l’agence : une ligne rouge à ne pas franchir
Ressources de l’agence et conflits d’intérêts
Un agent immobilier a à sa disposition de nombreux outils : site internet, base de contacts, budget marketing, personnel administratif… Peut-il les utiliser pour vendre son bien personnel ?
La réponse est oui, à condition de respecter deux principes essentiels :
- Transparence : l’agent doit déclarer clairement à tout acquéreur potentiel qu’il est le propriétaire du bien, conformément à l’article 9 du Code de déontologie des agents immobiliers (décret n° 2015-1090 du 28 août 2015).
- Non-détournement des ressources : l’agent ne peut pas mobiliser gratuitement les ressources humaines ou financières de l’agence à des fins privées. Une telle pratique pourrait être qualifiée :
- D’abus de biens sociaux s’il s’agit d’une société,
- D’abus de confiance s’il est salarié de la structure.
De plus, tenter de masquer sa qualité de vendeur ou de simuler une opération d’intermédiation expose à des poursuites pour pratiques commerciales trompeuses, infraction prévue par le Code de la consommation.
3. Confier la vente à une autre agence : la solution la plus sécurisée
Pour prévenir toute suspicion ou difficulté juridique, la meilleure solution consiste à mandater une autre agencepour vendre un bien personnel. Cette approche présente de nombreux avantages :
- L’agence mandatée pourra légalement percevoir une commission.
- L’agent vendeur évite toute accusation de conflit d’intérêts ou d’abus.
- La transaction est perçue comme plus neutre et transparente par les acquéreurs.
Cette démarche renforce la confiance des parties et protège l’agent immobilier contre d’éventuelles sanctions disciplinaires ou pénales.
4. Ce qu’il faut retenir
- Un agent immobilier peut vendre un bien personnel, mais il ne peut se rémunérer au titre d’une intermédiationdans cette transaction.
- Il doit informer clairement les parties de sa double qualité de vendeur et de professionnel de l’immobilier.
- L’utilisation des ressources de l’agence est encadrée. Un usage privé sans contrepartie ou sans autorisation constitue une infraction.
- Confier la vente à une autre agence est fortement recommandé pour éviter tout manquement déontologique.
Conclusion : une vigilance nécessaire pour des pratiques conformes
La vente d’un bien immobilier personnel par un agent est légale, mais strictement encadrée. Le non-respect des obligations de transparence ou la tentative de détourner les règles professionnelles expose à de lourdes sanctions. Pour une transaction sereine et parfaitement conforme à la réglementation, mandater un confrère reste la meilleure option.
Source : Arrêt de la Cour d’appel de Chambéry, 12 mars 2024, n° 21-01682.
Publié par Quentin Lagallarde dans le Journal de l’Agence, expert évaluateur en immobilier près la Cour d’appel de Caen.