La vente parfaite
Le principe, en apparence simple, qui veut qu’une vente est dite « parfaite » lorsqu’un acheteur et un vendeur se sont accordés sur une chose et un prix, suscite depuis des années un contentieux abondant et constant en matière de ventes immobilières, qu’elles soient négociées par agences ou entre particuliers. La période qui déclenche ces litiges est celle comprise entre la publicité d’un bien à vendre et la signature d’un avant-contrat (compromis ou promesse de vente). Alors, faisons le point de la situation en droit et en pratique.
I- Les règles de droit applicables
Si l’article 1583 du Code civil dispose que la vente « est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. », ce n’est pas le seul texte à prendre en considération. Le Code civil s’est enrichi depuis 2016 de nouveaux articles spécifiques à l’offre et à l’acceptation : les articles 1113 et suivants, dont il résulte en substance que :
- Un contrat est formé quand il y a rencontre d’une offre et d’une acceptation ;
- L’offre doit comprendre les éléments essentiels de la vente ;
- Les parties doivent manifester leur volonté (non équivoque) de s’engager.
Ainsi, le préalable à la formation d’un contrat (art. 1583 du Code civil) est la rencontre des volontés sur les conditions essentielles (dont l’objet et le prix) et la manifestation des parties de s’engager. À défaut, les parties sont « seulement » en pourparlers et seule la rupture abusive desdits pourparlers est indemnisable.
Pour savoir s’il y a eu accord entre les parties, il faut donc analyser chaque situation au cas par cas pour la qualifier juridiquement et connaître enfin les droits respectifs des parties. Il ne suffit donc pas de brandir l’article 1583 du Code civil pour considérer que la vente est parfaite.
En effet, avant la signature de l’avant-contrat, le moment de la conclusion de la vente reste incertain et soumis, en cas de litige, à l’appréciation des juges. Cela étant posé, voici des exemples concrets.
II – Publicité et offre d’achat au prix
Abordons la situation d’un acquéreur qui fait une offre au prix de l’annonce. Il faut distinguer le cas de l’annonce publiée par un propriétaire de particulier à particulier (A) et le cas où l’annonce est publiée par une agence (B).
A. La publicité d’un bien faite de particulier à particulier
Dans cette situation, c’est le propriétaire qui publie l’annonce pour la vente de son bien. Si un candidat acquéreur lui offre le prix demandé, peut-il refuser de vendre ? La publicité de vente constitue-t-elle une offre de vente qui, une fois acceptée par un candidat acquéreur, formerait définitivement un accord sur la chose et le prix et donc une vente ?
La cour d’appel de Paris, dans deux arrêts de 2014, a jugé qu’en pareil cas, il n’y a pas vente au regard de la complexité que constitue une vente immobilière : « Considérant que si l’offre faite au public lie le pollicitant à l’égard du premier acceptant dans les mêmes conditions que l’offre faite à personne déterminée, il en est différemment en matière de vente d’un bien immobilier, s’agissant d’une opération complexe ; qu’en cette matière, une offre au public est par nature large et ouverte afin de permettre à de futurs contractants de discuter du contenu du contrat, et s’analyse par conséquent comme une invitation à entrer en pourparlers ; qu’il s’en déduit que la prétendue acceptation de M. Vincent X suite à cette annonce n’est pas suffisante pour former un contrat de vente ayant pour objet le bien immobilier litigieux entre M. Vincent X et M. Patrice Y. ».
B. La publicité d’un bien faite par une agence
S’agissant d’une publicité faite par une agence, la Cour de cassation a également jugé, mais sur un autre fondement, que l’offre faite au prix de l’annonce ne vaut pas vente (Cass. 1re civ., 6/3/1996, n° 93-19262 ; Cass. 3e civ., 17/6/ 2009, n° 0813833 ; Cass. 3e civ., 26/2/2013, n° 11-18552 ; Cass. 1re civ., 5/2/2020, n° 18-26808).
En effet, le mandat de vente ne stipule pas, le plus souvent, de clause expresse permettant à l’agence de s’engager pour le compte du propriétaire, de sorte qu’à défaut d’un engagement ferme entre le vendeur et l’acquéreur, les parties ne sont pas liées.
Ainsi, au stade de la publicité, le vendeur et l’acquéreur ne sont pas liés et la vente n’est pas formée. Cependant, pendant la période des négociations, la situation est plus délicate à apprécier.
III – Les négociations
La période des négociations jusqu’à la signature de l’avant-contrat est plus délicate pour savoir si le vendeur et l’acquéreur sont engagés : même sans avoir signé une offre d’achat, ils peuvent être engagés. Et s’ils ont signé une offre d’achat, ils peuvent être engagés… ou ne pas l’être !
A. Les parties peuvent être engagées sans avoir signé d’offre d’achat
Les articles 1583 et 1113 et suivants du Code civil ne posent pas comme condition de validité la signature d’une offre d’achat. Ainsi, les parties peuvent être engagées, suite à un accord verbal, par des échanges de courriers ou de mails :le vendeur et l’acquéreur peuvent être engagés sans avoir signé d’offre d’achat.
La difficulté, notamment en cas d’accord verbal, étant alors de rapporter la preuve de l’accord. En cas de contestation, le juge analysera les pièces des parties et recherchera leurs communes intentions. Exemple : le juge a reconnu l’existence d’une vente en l’absence d’offre d’achat signée mais du fait de courriers et de l’établissement d’une procuration pour la signature d’un compromis qui n’a jamais été régularisé (CA Lyon, 6/10/2015, n° 13-03858).
B. Les parties signent une offre d’achat et ne sont pas engagées
La signature commune par le vendeur et l’acquéreur d’un document sur la vente est plus sécurisante, mais encore faut-il qu’il y ait eu rencontre des volontés sur les conditions essentielles de la vente et volonté de s’engager.
Ainsi, à titre d’exemple, la cour d’appel de Bordeaux (12/6/2020, n° 17-05354) a refusé de reconnaître, au vu d’une offre d’achat contresignée mais jugée trop succincte, qu’il y avait vente. Elle relève que « ce laconisme interdit de considérer ce document (proposition d’achat) comme une promesse d’achat valablement acceptée par le vendeur dont la mention “Bon pour accord“ signifie qu’il a accepté la proposition mais n’emporte pas engagement de sa part de vendre à ce prix et à ces conditions. ».
C. Les parties signent une offre d’achat et sont engagées
Enfin, quand les conditions sont réunies, la contresignature d’une offre d’achat emporte bien vente (Cass. 3e civ., 29/9/2016, n° 14-26674). En dernier lieu, rappelons que le juge n’est pas tenu par le titre d’un document (offre d’achat ou lettre d’intention) et qu’il lui appartient de l’étudier et de lui donner sa qualification juridique exacte.
Source Maître Caroline DUBUIS TALAYRACH Journal de l’Agence du 09 AVRIL 2021