La surévaluation d’un bien immobilier par l’agence immobilière chargée de le vendre est une violation du devoir de loyauté, de conseil et d’information et par conséquent elle est condamnée à payer des dommages et intérêts à son client vendeur en l’indemnisant également pour la perte d’une chance.
Pour en savoir plus :
A propos d’un arrêt : CA Rouen, ch. civ. et com., 25 mars 2021, n° 19/01978
Les agents immobiliers sont des professionnels astreints à un devoir de loyauté, de conseil et d’information à l’égard de leurs clients dont la violation peut engager leur responsabilité civile.
C’est ce que juge un arrêt de la cour d’appel de Rouen. Des époux, propriétaires de deux terrains et d’un immeuble à usage d’habitation souhaitant procéder à la vente de ces biens, ont sollicité une agence immobilière qui a estimé, par courrier du 14 juin 2012, que leur maison présentait une valeur d’environ 400 000 euros net vendeur. Par conséquent, ils lui donnent un mandat exclusif de la vendre pour 410 000 euros et, en même temps, se portent acquéreurs, par l’intermédiaire de la même agence, d’une maison d’habitation, de taille plus modeste, au prix de 242 000 euros. Au terme du mandat exclusif, leur maison n’était toujours pas vendue et n’avait pas été visitée. Les époux se sont alors rapprochés d’autres agences immobilières, qui ont indiqué que le prix estimé de 400 000 euros était trop élevé. Après avoir accepté des baisses de prix successives, les propriétaires sont finalement parvenus à la vente de leur maison, le 14 novembre 2014, pour un prix de 242 000 euros après avoir été contraints d’allonger la durée de remboursement du prêt relais de 331 000 euros qu’ils avaient souscrits pour financer immédiatement leur acquisition.
Les époux ont considéré que l’agence immobilière avait engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard parce qu’elle les avait convaincus d’acquérir un nouveau bien à des conditions financières qui se sont avérées plus lourdes que celles escomptées eu égard à la surévaluation du bien mis en vente par l’agence. Ainsi, elle est parvenue à les convaincre d’acquérir rapidement un nouveau bien par son intermédiaire ce qui lui a permis de percevoir une commission, les époux devant, pour leur part, faire face au remboursement de leur prêt relais qu’ils n’auraient jamais contracté s’ils avaient su que le prix de la vente de leur ancienne maison ne couvrirait pas l’achat de la nouvelle.
Le tribunal judiciaire et ensuite la cour d’appel de Rouen donnent raison aux clients vendeurs. Certes, l’agence immobilière était bien fondée à faire valoir qu’une évaluation n’a pas valeur d’expertise, mais celle-ci « engage néanmoins la responsabilité de son auteur dès lors qu’elle émane d’un professionnel de l’immobilier qui doit être en mesure de fournir une évaluation la plus proche possible du prix du marché » et qui n’a pu prouver que la baisse de valeur du bien était due à la crise immobilière de 2013. Cette évaluation avait été déterminante de l’engagement des vendeurs et l’agence ne pouvait, en qualité de professionnel, ne pas être consciente de l’incidence de l’évaluation annoncée sur la décision des époux de se rendre immédiatement acquéreurs par recours à un prêt relais, une vente rapide de leur bien leur laissant espérer le remboursement aussi rapide de leur emprunt et la réalisation d’une plus-value sur l’immeuble vendu.
A plusieurs reprises, les juges du fond rappellent que l’agent immobilier est un professionnel et que son comportement caractérise suffisamment « un défaut de loyauté et son manquement à son obligation d’information et de conseil ». L’agence immobilière est condamnée à payer des dommages-intérêts aux vendeurs afin de réparer divers préjudices matériels, à savoir : le versement d’intérêts supplémentaires en raison de l’allongement du prêt relais (5 644,84 euros) et le coût de l’assurance liée au prêt (866,23 euros).
Mais surtout, cet arrêt est intéressant car il indemnise aussi les vendeurs de la perte d’une chance. Cette dernière consistait pour les clients de l’agence immobilière d’avoir renoncé à contracter s’ils avaient connu le surcoût que représentait l’acquisition de leur nouvelle maison. La chance indemnisable correspond au fait qu’ils auraient pu différer leur décision et renoncer à faire appel à un professionnel, s’ils avaient eu connaissance de la valeur réelle de leur bien alors qu’ils sont passés par un agent immobilier afin de bénéficier d’un conseil objectif, celui-ci leur ayant facturé une commission sur l’acquisition de la nouvelle habitation.
Cependant, l’arrêt d’appel ne retient pas le même montant de dommages et intérêts que celui fixé par les juges de première instance à 82 638,10 euros, soit 90 % de la différence entre le prix de vente espéré de leur précédent bien et le prix d’acquisition de leur nouveau bien. Pour la cour d’appel, le préjudice indemnisable est seulement « la perte de chance de ne pas contracter », soit 22 000 euros, sans que la méthode d’évaluation ne soit détaillée. Peut-être s’agit-il du montant de la commission versée ?
Les juges ajoutent la réparation du préjudice moral subi par les vendeurs résultant de la perte de confiance « qu’ils ont ressentie légitimement » (5 000 euros) et mettent les frais et dépens à la charge de l’agence.
Dans cette affaire, les professionnels de l’immobilier peuvent percevoir que les devoirs de conseil, de loyauté et d’information engagent de façon exigeante leur responsabilité
Source : Corinne SAINT-ALARY HOUIN – Dictionnaire Permanent Gestion Immobilière 3 juin 2021